- Votre déjeuner est
servi, M. Anton.
Anton Fromm leva les yeux vers
sa domestique et pencha la tête sur le côté. Il travaillait sans interruption
depuis plusieurs heures et s’était tenu si concentré qu’il lui fallut un long
moment pour reconnaître Marie, revenir au présent – l’heure du déjeuner, dans
son bureau – et répondre d’une voix douce :
- Très bien. Je descends. Merci,
Marie.
Il attendit, immobile, qu’elle
quittât l’encadrement de la porte. Il revissa le bouchon de son stylo, retira
ses lunettes et se leva de son fauteuil. Un pincement dans les vertèbres
interrompit un instant son déplacement vers l’escalier. Il reboutonna sa veste
et attrapa sa canne qu’il avait laissé appuyée contre un guéridon couvert de
livres. Il descendit lentement les marches habillées d’un épais tapis et
pénétra dans la grande salle à manger lambrissée.
Il s’assit sur la chaise au haut
dossier capitonné et se demanda, peut-être pour la millième fois, pourquoi il
ne se débarrassait pas de cette pénible habitude. Cette table, où seize
convives auraient pu dîner avec aise, était manifestement trop vaste pour lui
qui prenait seul tous ses repas. Avait-il un besoin si pressant de tous ces
couverts d’argent, de toutes ces assiettes de porcelaine, de ce bouquet
splendide qui trônait dans son vase de Chine juste devant ses yeux ?
Qu’est-ce qui le retenait de prendre ses repas à l’office ? Il aurait sans
façon poussé les épluchures de légumes pour se faire une place au haut bout de
la table creusée à force d’être récurée ; les chats lui auraient couru
entre les jambes ; il aurait respiré les effluves de sauce à la viande et
de lessive ; il aurait mangé un repas solide et simple, avec sous les yeux
le gros derrière de Marie remuant le contenu de sa marmite et parlant toute seule.
Anton Fromm sourit à cette
image. Marie avait le même âge que lui, elle était ronde et rose, toujours
aussi énergique et bavarde. Depuis combien de temps était-elle à son
service ? Cinquante, soixante ans ? Il l’imagina le chasser de
l’office, furieuse de l’avoir dans les jambes, profondément choquée de la
révolution sociale que ce changement d’habitude impliquait : « Ouste,
M. Anton ! Ouste ! Ce n’est certainement pas la place d’un grand
savant comme vous que de souper à l’office ! Voyons, soyez
raisonnable ! Comment voulez-vous que je travaille si vous êtes là à me
regarder faire ? Hein ? C’est simplement impossible, M. Anton.
Simplement im-pos-sible. » Là résidait sans doute la réponse à sa question
– tout au moins une partie de la réponse : il ne changeait pas ses
habitudes par égard pour Marie. Elle avait modelé toute sa vie sur la sienne
et, pour continuer à être elle-même, elle avait besoin qu’il continuât à être
le grand homme auprès de qui se dévouer. S’il n’y avait plus de grand homme,
c’était que le sacrifice avait été inutile, et que sa vie était gâchée.
Marie donna un coup de pied dans
la porte pour l’ouvrir et entra en se dandinant dans la salle à manger. Elle
portait une assiette à chaque main, dont une couverte d’une coupole argentée,
et tenait une louche serrée entre ses dents. Elle posa le tout devant Anton
Fromm, raidi, comme tous les jours, par l’absence de délicatesse de Marie.
- Je vous souhaite un bon
appétit, M. Anton, dit-elle d’une
voix forte.
Le temps de trouver une question
à lui poser pour la retenir quelques minutes, elle avait déjà disparu, laissant
dans son sillage le bruit d’une porte qu’on ouvre et qu’on ferme.
Anton Fromm coupa un morceau de
terrine de lapin et le porta à sa bouche. C’était une des nombreuses
spécialités de Marie, dont heureusement il ne se lassait pas : elle lui en
servait la moitié de l’année. Il mâchait lentement, savourant sa consistance
parfaite – ni trop mouillée, ni trop sèche – et cet arrière-goût fumé qui était
sa signature et son secret de fabrication.
Il reprit le fil de ses
pensées : pourquoi se trouvait-il seul dans cette grande pièce
ridiculement apprêtée à chacun de ses repas ? Par égard pour Marie, oui.
Mais ce n’était pas tout. Elle n’était qu’une domestique et il était encore
maître en son logis. Il aurait pu se faire servir sur le guéridon de la
bibliothèque (Marie se serait plaint de devoir plusieurs fois par jour tout monter et tout descendre dans l’escalier). Il aurait pu se rendre au
restaurant (mais il n’avait aucune indulgence pour les dépenses somptuaires, et
c’en était manifestement une). Il aurait pu inviter des amis ou des parents à
lui tenir compagnie (c’était la porte ouverte à des rendez-vous routiniers et
asservissants). Etait-il donc condamné à prendre seul ses repas jusqu’à la fin
des temps ?
Quand il eut terminé son entrée,
il déposa devant lui la seconde assiette et souleva le couvercle. Une belle
truite était accompagnée de pommes de terre, de carottes et de navets. Il
entreprit de retirer la peau, la tête et les arêtes du poisson. Il déposa les
déchets sur l’assiette de terrine maintenant vide et mangea rapidement le repas
presque froid. Il s’essuya la bouche dans la grande serviette blanche que Marie
changeait à tous les repas et but une gorgée de vin rouge. Il s’appuya
confortablement contre le dossier et attendit.
Quelques secondes plus tard,
Marie entra dans la salle à manger avec fracas :
- Ça vous a plu, M. Anton ?
demanda-t-elle en empilant les assiettes et en y mettant les couverts sales.
- C’était très bien. Merci
Marie.
- Je vous apporte le fromage.
- Si vous vouliez bien me mettre
une pomme avec, ce serait parfait.
- Bien, monsieur.
La vieille domestique donna un
coup de pied dans la porte et disparut à nouveau dans un bruit de tintement.
Vais-je sortir ? se demanda
Anton Fromm.
Bien qu’il eut dépassé l’âge de
la retraite, il avait continué à exercer sa profession. Nombre de ses doctes
collègues l’avaient discrètement incité à cesser ses cours à l’Université et à
se consacrer à l’écriture de ses livres. Il savait parfaitement qu’en libérant
sa place, une machinerie extrêmement complexe et subtile allait se mettre en
marche qui permettrait à nombre d’entre eux de faire avancer leur carrière.
Mais il n’avait pas abdiqué et avait continué à enseigner. Ses collègues si
bien intentionnés étaient pour la plupart des vieilles badernes très savantes
mais sans plus aucune vivacité d’esprit. Ils se répétaient et misaient tout sur
leurs acquis. Son cerveau à lui avait besoin, pour travailler et faire avancer
la science, de la vitalité et de la stimulation de ses étudiants.
Malgré ses nombreux projets en
cours et son emploi du temps chargé, il s’autorisait une heure de promenade
tous les jours. Il regarda par la grande baie et constata que le beau temps
d’automne se maintenait. Les feuilles dans le jardin vibraient légèrement. Une
belle lumière chaude et douce enveloppait le marronnier déjà sec. Il avait
toujours aimé le mois de septembre, si plein de promesses après les oisifs et
languissants mois d’été.
Oui, se dit-il, j’irai marcher
une heure après mon café.
Marie revint avec le fromage et
la pomme qu’elle déposa sur la table.
- Merci, dit-il en prenant un
couteau propre. Pensez-vous que le beau temps va se maintenir, vous qui êtes
dans les secrets des dieux ?
- Ah, monsieur Anton ! Dans
les secrets des dieux ! Comme vous y allez ! M’est avis que nous
sommes tranquilles jusqu’à la prochaine lune. Mais le fils du boucher, qui m’a
fait sa livraison ce matin, m’a soutenu que le vent avait déjà commencé à
tourner et qu’il pleuvrait avant samedi. Comment savoir ?
- Effectivement, comment savoir,
dit-il pensivement.
- Vous prendrez du café ?
demanda-t-elle brusquement.
- Avec plaisir.
- Je vous l’apporterai quand
vous aurez terminé.
Elle quitta la pièce en
trottinant.
Anton Fromm mangea
méthodiquement un morceau de chaque fromage du plateau. Quand ce fut fait, il
nettoya son couteau et commença à éplucher sa pomme. La peste de mes habitudes
de vieillard, se dit-il. Il lâcha le couteau et croqua dans le fruit. Le jus
glissait le long de son poignet, mais il jouissait de la grande quantité de
chair qu’il pouvait saisir à chaque bouchée. Pourquoi était-ce meilleur ainsi,
que découpé en fines tranches comme il était accoutumé de le faire ?
Marie entra avec un plateau sur
lequel était déposée une petite tasse blanche. Elle leva le sourcil droit quand
elle aperçut le trognon de pomme dans l’assiette, mais elle ne fit aucun
commentaire. Anton Fromm prit la tasse dans le creux de ses mains et regarda en
silence Marie qui débarrassait les restes de son déjeuner.
- Je vais marcher jusqu’au lac.
Je serai de retour vers quinze heures.
- Bien, M. Anton. Bonne
promenade.
- Merci, dit-il avant de porter
la tasse à ses lèvres.
Marie quitta à nouveau la pièce,
le renvoyant au silence et à la solitude.
Le café était brûlant. Il
regrettait de ne pas avoir pris avec lui un journal pour lire en attendant
qu’il refroidît. Il se dit ensuite que s’il n’avait pas pris ce café, il aurait
pu être déjà en train de se préparer à sortir. Et ce café qui ne refroidit pas,
se dit-il, agacé. Et pourtant il avait tout son temps, il n’avait aucune
obligation cet après-midi. Décidément, je ne supporte plus cette salle à
manger, se dit-il en regardant autour de lui, puisqu’il n’avait rien d’autre à
faire. Cette propreté, cette raideur, ces tableaux noircis, ces chaises, les
buissons de laurier dans le jardin. Il se fit la remarque que son jardin lui
évoquait maintenant les espaces verts
d’une clinique. Comment ai-je pu m’enfermer de moi-même dans ce mausolée, se
demanda-t-il.
Cette maison était le
couronnement de son ascension sociale. Il était âgé quarante ans quand il
l’avait acquise. Il était encore jeune mais déjà reconnu par ses pairs, sa
célébrité commençait même à sortir des cercles universitaires. Lorsqu’il avait
pris possession de cette grande maison blanche, massive, solide, avec son
perron et sa volée de marches, ses grandes pièces aux hauts plafonds, ses
volets verts, il avait pensé à leur petite chaumière où huit enfants
s’ébattaient dans deux pièces étroites et briquées par sa mère toute sa vie
durant. Il s’était senti fier de sa réussite et redevable envers ses parents
qui n’étaient plus là pour assister aux ultimes fruits de l’éducation qu’ils
lui avaient donnée. Même morts, ils gardent un œil sur nous, s’était-il dit en
insérant la clé dans la serrure.
Après toutes ces années à le
servir dans de petits logements miteux, Marie avait visité avec ravissement les
pièces qui allaient devenir son royaume. Grâce à Anton Fromm elle avait atteint
un nouvel échelon social, elle était passée de simple bonne à gouvernante. Mais
malgré quelques bouffées occasionnelles de vanité, elle n’avait pas changé et
était restée indécrottablement l’enfant accidentel d’une fille de ferme. A
l’instar des empereurs romains qui se laissaient susurrer les pires injures au
creux de l’oreille pendant les triomphes, il n’aurait voulu sous aucun prétexte
être séparé de Marie, et oublier d’où lui-même venait.
Les années avaient passé. Anton
Fromm avait rempli sa maison de livres, de meubles rares et d’œuvres d’art. La
maison était si imprégnée de lui, de ses goûts, de ses sentiments, de tous les
événements qu’il avait vécus ici, qu’elle était devenue un prolongement de
lui-même, une excroissance monstrueuse et rance de son propre corps. Il ne
comprenait plus ce qui avait nourri cette tumeur, quelle soif inextinguible de
remplir l’avait pris pour acquérir tous ces objets qui, maintenant qu’il en
était las, n’étaient plus que des entraves. Aujourd’hui il était un vieux
bonhomme, il se désintéressait de tous ces objets et de tout ce luxe. Il se
demandait, sans oser aller au bout de sa réflexion, comment il aurait pu s’y
prendre pour alléger son fardeau. Mais que faire de tout ce fatras ? La
seule chose à faire dans l’immédiat était de fermer la porte d’entrée derrière
lui et d’aller marcher pendant une heure.
Le café était maintenant presque
froid. Il avala d’une traite le contenu de sa tasse et se leva de sa chaise.
Dans le vestibule, il enfila son manteau léger, vissa son chapeau sur sa tête,
et empoigna sa canne. Il ouvrit la porte d’entrée et l’air doux qui vint
frapper son visage lui rendit le sourire. Il referma la porte et posa la main
sur la rambarde avant de descendre les quelques marches. Lorsqu’il eut franchi
les grilles de son jardin, il se sentit soudainement plein d’entrain.
Il s’arrêta un instant sur le
trottoir, le temps de laisser passer un élégant tram jaune moutarde au gros
phare rond. Le bruit métallique de la lourde machine lancée sur ses rails lui
était familier et plaisant. Ses grandes antennes qui frottaient les câbles
émettaient des étincelles. Derrière les vitres certains passagers avaient déjà
revêtu leur manteau d’automne, tandis que d’autres ne s’étaient pas encore
résolus à quitter leur tenue de vacances. Une vieille dame portait un joli
chapeau mauve. Aucun ne tourna la tête vers le vieux promeneur.
Le silence revint dans la rue.
Anton Fromm prit son pas de promenade, ne se servant presque pas de sa canne.
Il n’en avait pas vraiment la nécessité, mais une mauvaise chute suivie d’une
longue convalescence lui en avait donné l’habitude. Elle lui tenait en quelque
sorte compagnie. Il longea les haies parfaitement taillées au pied desquelles
des merles soulevaient les feuilles mortes afin d’y trouver leur pitance. La
plupart des maisons de son quartier ressemblait à la sienne, avec quelques
variations dans les formes et les décorations ; elles avaient toutes été
construites à la même époque, entourées de beaux jardins soigneusement
entretenus et protégées de hautes grilles noires. Tous les enfants sont partis,
se dit-il, c’est devenu un quartier de riches vieillards.
Plusieurs pâtés de maison plus
loin, la rue se terminait à un grand carrefour où se croisaient piétons, autos,
taxis et trams dans un fracas continu, mais dans un ordre parfait. C’est cela,
la civilisation, se dit-il en attendant son tour de traverser, l’organisation
du chaos en flux, tirer profit le plus possible de la force vitale, mais la
canaliser. Canaliser, l’expression
était particulièrement juste. Les canaux et les polders de Hollande étaient une
très bonne allégorie de la civilisation, pensait-il. Depuis son apparition,
l’Homme s’était rendu peu à peu maître de ses instincts et de la nature. Ce
carrefour en était un achèvement. Jusqu’à quelle prochaine révolution ? se
demanda-t-il en s’engageant sur le passage clouté.
Le trottoir du boulevard était
assez large pour que tous les passants pussent se déplacer chacun à son rythme
et sans se bousculer. Anton Fromm s’arrêtait de temps à autre devant de belles
vitrines et en admirait l’opulence arrangée avec soin sur les présentoirs, les
tablettes couvertes de tissus brillants, les mannequins plus vrais que nature.
En vieillissant il avait perdu cette pulsion d’acheter pour le seul plaisir de
la possession. Il n’avait pas besoin de posséder un bel objet pour le trouver
beau et avoir plaisir à le contempler. D’ailleurs, avait-il remarqué, certains
objets – montres, portefeuilles, vêtements – n’étaient jamais aussi beaux que
dans les vitrines, sous un éclairage approprié et accompagnés de leurs
semblables.
Même si la nostalgie de la vie à
la campagne ne lui était pas inconnue – mais elle était inséparable d’émotions
familiales à jamais disparues – il savait qu’il ne pouvait pas se passer de
cette vie urbaine au milieu de laquelle il se frayait un chemin. Les livreurs
qui encombraient le trottoir de leurs colis volumineux ; les hommes
d’affaire qui marchaient nerveusement, leur serviette de cuir sous le
bras ; les élégantes qui commençaient tout juste leur journée ; les
mères de famille au regard anxieux, un enfant pendu à chaque main ; les
traînards et les hors-catégorie de toutes sortes. Dans cette foule, il ne se
sentait pas seul, il se sentait indifférencié, participant aux flux anonymes de
la ville.
Parvenue au bout du boulevard,
la circulation se jetait sur une grande place de forme ovale qui s’ouvrait sur
la rive du lac. Ici s’arrêtaient et partaient tous les trams de la ville, comme
un cœur qui aspire, repousse et fait circuler le sang dans tout l’organisme. Au
centre de la place, serrée dans l’enchevêtrement des rails, la gare de
terminus, elle aussi ovale et toute en verre, était couverte par un toit plat
en béton, lui aussi ovale, qui s’avançait de quelques mètres au-dessus des
passagers pour les protéger des intempéries. Presque tous les habitants de la
ville passaient par ici au moins une fois par jour. Anton Fromm aimait y faire
un arrêt pour lire les titres de la presse internationale au kiosque à
journaux.
Il n’acheta aucun journal. Il
traversa lentement la foule en transit et s’engagea sur la promenade qui
faisait le tour du lac. La vue était bien dégagée sur le massif qui étincelait
au loin sous le soleil d’automne. La neige sur les sommets prenait une couleur
dorée et les montagnes, bien détachées les unes des autres, étaient d’un bleu
qui tirait au violet.
L’eau du lac était sans cesse en
mouvement, agité de vaguelettes qui s’allumaient un instant avant de
s’éteindre. Ici et là on voyait de petites barques de pêcheurs vertes. Une fine
embarcation fendait rapidement la surface, poussée par les avirons d’une
demi-douzaine de jeunes hommes aux bras nus. Un élégant vapeur qui assurait la
liaison entre les deux extrémités du lac s’apprêtait à accoster et fit retentir
sa corne.
Comment se lasser de ce lac qui
est toujours si différent, se dit-il. La promenade, séparée de la circulation
automobile par les villas, était le point de rendez-vous des nurses qui
sortaient des nuées d’enfants de tous les âges, et bavardaient entre elles,
assises les jambes repliées sous elles, sur les pelouses, avec toujours une œil
attentif sur les apprentis aventuriers. Les nombreux bancs étaient, eux, le
territoire des vieilles dames qui s’y retrouvaient dès le matin pour tricoter,
prendre le soleil et bavarder. Anton Fromm les ignora avec orgueil lorsqu’il
passa devant elles. Il n’avait rien à voir avec ce genre de personnes et tenait
à le montrer.
Anton Fromm marcha au bord du
lac sur près d’un kilomètre. Il avait l’esprit uniquement occupé à observer ce
qu’il y avait autour de lui. Son regard glissait des montagnes au lac,
s’attardait un instant sur un petit voilier phosphorescent, puis se dirigeait
vers les jardins des villas, où les parterres de fleurs faisaient des taches
multicolores sur les étendues de gazon parfaitement tondu.
Plus on s’éloignait du centre,
moins on trouvait de passants. Il était maintenant presque seul sur l’allée de
gravier. Il alla jusqu’à la jetée qui était ordinairement le point le plus
éloigné de ses promenades quotidiennes, fit quelques pas sur les planches,
regarda les poissons qui se déplaçaient lentement entre les pilotis, jeta un
dernier regard sur les montagnes et fit demi-tour.